« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 4 février 2017

Les autorités indépendantes ont un statut

Les autorités indépendantes rentrent dans le rang. Elles s'institutionnalisent. Deux textes du 20 janvier 2017, une loi organique et une loi ordinaire, leur confèrent un statut et en dressent la liste exhaustive. Autant dire qu'il sera plus difficile de les utiliser pour tout et n'importe quoi, par exemple pour donner l'apparence de l'impartialité à une commission consultative ordinaire ou pour répondre à une préoccupation conjoncturelle de l'opinion publique. Derrière le recours à l'autorité indépendante apparaît toujours l'idée que des "sages" sont mieux placés que les administrations ordinaire pour susciter la confiance et, parfois, apporter l'oubli.

Les textes sont issus de propositions de loi d'origine sénatoriale, présentées en décembre 2015 par Marie-Hélène des Esgaulx (LR, Gironde), Jean-Léonce Dupont (UDI Calvados) et Jacques Mézard (RDSE Cantal). Elles font suite au rapport pour le moins alarmiste déposé par le sénateur Patrick Gélard en juin 2014. Il y dénonçait le développement anarchique des autorités indépendantes et réclamait un cadre juridique précis pour une notion au succès incontestable mais si imprécise qu'elle servait à qualifier des institutions extrêmement diverses. Dans le but de créer cet encadrement juridique, le rapport Gélard formulait un certain nombre de propositions assez largement reprises dans les présents textes.

L'inflation des autorités indépendantes


En 2014, le rapport Gélard ne recensait pas moins de 39 autorités indépendantes, constatant que le législateur en créait environ une par an. Certaines, comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) bénéficient d'un véritable statut d'indépendance et sont même dotées d'un pouvoir réglementaire et d'un pouvoir de sanction. D'autres, comme le Médiateur du livre ou le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) ressemblent étrangement aux commissions consultatives ordinaires qui les ont précédées. La seule chose qui change est donc l'étiquette "autorité administrative indépendante" qui leur est donnée. 

La loi du 20 janvier 2017 fait un grand ménage dans la liste des autorités indépendantes. Des 39 dénombrées dans le rapport Gélard, il n'en reste que 26. Autant dire que certaines n'ont pas réussi l'examen d'entrée dans la nouvelle catégorie définie par le législateur. Tel est le cas du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et de la Commission nationale consultative sur les droits de l'homme (CCNDH) qui sont toutes deux dépourvues de pouvoir de décision. Il est vrai que la seconde s'était auto-proclamée autorité indépendante, affirmation qui ne reposait sur aucun fondement juridique. 

D'autres institutions ont été sauvées in extremis lors des débats sur les lois de janvier 2017, comme la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI). Les sénateurs estimaient qu'elle avait démontré son inefficacité, mais le gouvernement s'est opposé à sa disparition, comme il s'est opposé à celles de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) et de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL). Quant à la Commission consultative sur le secret de la défense nationale (CCSDN), on l'a rebaptisée en Commission du secret de la défense nationale, évolution purement cosmétique qui permet de gommer le fait qu'il s'agit d'une commission consultative ordinaire dépourvue de tout pouvoir décision. 

Sage. Pierre Alechinsky (né en 1927).


Un objet juridique identifié


Les autorités indépendantes reconnues font désormais l'objet d'un encadrement juridique. Un certain nombre de principes sont posés qui ne se différencient de ce qui existe déjà dans bon nombre d'institutions. Le mandat des membres doit être compris entre trois et six ans. Il n'est pas révocable et n'est renouvelable qu'une fois. Tout cela n'est pas très original et la plupart des lois organisant les autorités existantes prévoyaient déjà ce type de garanties institutionnelles.

La loi énonce aussi quelques principes qualifiés de déontologiques. Elle rappelle les termes de la loi du 11 octobre 2013 qui impose aux membres de ces autorités le dépôt d'une déclaration d'intérêts. Elle affirme aussi qu'ils xercent leurs fonctions avec "avec dignité, probité et intégrité et veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d'intérêts".  Ces précisions étaient sans doute utiles mais elles ne font que rappeler des principes posés par la loi du 11 octobre 2013.  Certes, ils ne figuraient pas dans les lois créant une autorité indépendante. Mais peut-être le législateur n'estimait-il pas nécessaires de rappeler des devoirs que tous les membres d'une telle autorité devraient connaître et respecter ? Quoi qu'il en soit, s'il les rappelle désormais, la question de la sanction de leur non respect reste posée. La loi ne prévoit pas, en effet, de procédure spécifique de sanction.

Incompatibilités


Des incompatibilités sont également prévues, notamment avec l'exercice d'un mandat électif local ou avec la détention d'intérêts en lien avec le secteur dont l'autorité assure le contrôle, la surveillance ou la régulation. Là encore, ce type de précaution n'était pas inconnu des lois existantes. On observe néanmoins que si le législateur a pris soin de dresser la liste des fonctions incompatibles, il n'a pas mentionné celle de parlementaire. On pourrait s'étonner que la question de cette participation de membres du parlement à des autorités qui demeurent de nature administrative, participation qui semble un peu étrange au regard du principe de séparation des pouvoirs.

L'incompatibilité est en revanche clairement affirmée par la loi organique pour les magistrats de l'ordre judiciaire et les membres du Conseil économique social et environnemental. La seule exception, logique, réside dans l'hypothèse où ils seraient nommés à raison de cette fonction. 

Les membres du Conseil d'Etat, de la Cour des comptes et des juridictions administratives sont nettement mieux traités. La loi prévoit que lorsque le texte instituant l'autorité indépendante prévoit, au sein du collège délibérant, la présence d'un représentant de ces corps, il ne peut être désigné un autre membre en activité du même corps, "à l'exclusion du président de l'autorité concernée". Ils peuvent donc conserver les nombreuses présidences déjà considérées comme le pré carré du Conseil d'Etat.

Les lois du 20 janvier 2017 ont le mérite de réduire le nombre de ces autorités et de poser quelques principes d'organisation. Le travail de tri entre les institutions qui peuvent revendiquer un réel statut d'indépendance et les autres est cependant loin d'être achevé. On ne peut s'empêcher de penser que les lobbying a été très actif durant les débats. Certaines autorités avaient disparu dans la proposition de loi pour revenir ensuite, après des interventions plus ou moins souterraines. La liste finale témoigne de ces hésitations et sa cohérence ne saute pas toujours aux yeux.

Il reste évidemment à s'interroger sur l'autorité qui aura pour fonction de contrôler le respect par le législateur de ce statut juridique, même minimaliste. On peut penser que le Conseil constitutionnel n'hésitera pas à reprendre à son compte des principes qui ont déjà été érigés au rang constitutionnel par sa jurisprudence, comme le principe d'impartialité. Il pourrait ainsi être conduit à sanctionner une loi qui qualifie d'autorité indépendante un vague comité Théodule dépourvu de tout pouvoir de décision, et destiné seulement à donner à l'opinion le sentiment que l'on se préoccupe d'un problème en le confiant à des "sages". Dans l'état actuel des choses, le Conseil n'a été saisi que de la loi organique, qu'il a déclarée conforme à la Constitution dans sa décision du 19 janvier 2017. Mais il sera bientôt saisi de questions prioritaires de constitutionnalité portant sur des autorités déjà crées et l'on attend avec impatience le jour où il se prononcera sur la Commission du secret défense ou sur l'Autorité de régulation des jeux en ligne.

Sur les autorités administratives indépendantes : Chapitre 3 section 2 du manuel de libertés publiques sur internet.

1 commentaire:

  1. === Avant toute chose, et de façon générale, un immense merci pour votre constance dans l'alimentation de votre blog dont nous avons appris avec stupeur qu'il était censuré sur l'intranet du Quai d'Orsay pour cause de "pornographie". Décidément, la langue diplomatique reste un grand mystère pour le commun des mortels ! ===

    Pour en revenir à nos moutons, il s'agit d'un effort particulièrement louable de clarification de la part du législateur pour remettre un peu d'ordre dans ce maquis des autorités administratives indépendantes. Comme souvent dans ce genre de circonstances, les questions ne manquent pas.

    1. Question de méthodologie

    Une fois encore, au pays de la logique, de Descartes, des jardins à la Française et de l'hyper réglementation, on a une fâcheuse tendance à mettre la charrue avant les boeufs. Comme vous le soulignez si justement, on s'empresse de créer, souvent dans la plus grande précipitation, des structures bâtardes dont le fonctionnement pose, à plus ou moins brève échéance, des problèmes juridiques quasiment insolubles. Ce n'est qu'une fois les inconvénients de pareille situation de non-droit trop visibles que l'on remet l'ouvrage sur le métier. Que de temps de parlementaire perdu et que d'argent du contribuable dilapidé !

    2. Question de cohérence

    Une fois encore, les critères objectifs ayant prévalu pour faire fonctionner la commission de la hache demeurent assez obscurs pour l'esprit simple que je suis. Pour des raisons de meilleure utilisation de l'argent public, n'aurait-il pas été opportun de s'interroger sur les raisons précises ayant présidé à la création des ces autorités administratives indépendantes pour savoir s'il n'aurait pas été opportun de les rattacher à des administrations existantes ? Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Reste encore la question du contrôle du contrôle que vous soulignez.

    3. Question d'égalité

    Une fois encore, les membres du Conseil d'Etat (en particulier) bénéficient d'un régime exorbitant du droit commun au mépris des grands principes du droit dont ils sont censés être les scrupuleux gardiens. Il faudra bien un jour mettre un terme à la dualité de fonctions (conseil et juge de l'Etat) des comiques du Palais-Royal. En pratique, ces donneurs de leçons (surtout son communicant de vice-président) peuvent faire tout et n'importe quoi en toute impunité. Curieusement, ce sujet est passé sous silence dans le débat lancé autour des réformes indispensables à mettre en oeuvre dans le sillage du PenelopeGate. Il est vrai que, nombre de missions de réflexion sur les évolutions de notre système de l'entre-soi, de l'oligarchie sont confiées à des conseillers d'Etat.

    A la lumière de cet excellent post, peut-être un peu trop leste au sens qu'en donnent les brillants esprits du Quai d'Orsay, la célèbre maxime suivante du cardinal de Retz n'a pas pris une seule ride : "on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment".

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