« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 17 février 2013

Vers un droit à une alimentation saine ?

L'affaire des lasagnes chevalines n'est que le dernier d'une longue chaines de scandales alimentaires. Souvenez vous. En 1995, on découvrait que des vaches, en principe herbivores, étaient nourries avec des farines animales d'origine britannique, qui ont transmis à certains consommateurs la maladie de Kreutzfeld-Jacob également appelée "maladie de la vache folle". En 1999, ce sont les poulets belges à la dioxine, produit hautement cancérigène, qui doivent être retirés du marché. En 2003, les autorités sanitaires françaises décident la fermeture d'une chaîne de restaurants, dans laquelle on avait trouvé de la viande avariée. En 2011, on a découvert que l'huile d'olive italienne venait essentiellement d'Espagne ou du Maroc. En 2012 enfin, des tonnes de viande hachée, commercialisée notamment par l'entreprise Spanghero, sont retirées des rayons des supermarchés parce qu'ils contiennent une méchante bactérie. A chaque fois, le même scandale dans la presse, quelques décisions administratives de fermeture ou de retrait d'agrément, et puis plus rien. 

Les causes de ce désintérêt doivent être recherchées dans plusieurs directions. Tout d'abord, il faut constater que le mouvement consommateur ne rencontre qu'un écho modeste dans la population. Le droit fait ce qu'il peut, en prévoyant l'octroi d'un agrément administration aux associations actives dans ce domaine, afin de leur permettre de représenter en justice les intérêts des consommateurs. (art. L 411-1 et R. 411-1 c. consom.). Mais la lecture du guide des associations de consommateurs édité par l'INC montre qu'il existe bien peu de mouvements qui se consacrent au domaine de l'alimentation. Quant au militantisme, il est également relativement modeste. Les consommateurs français ne répondent guère à d'éventuels appels au boycott de produits considérés comme dangereux. Les mouvements écologistes, quant à eux, sa manifestent surtout à travers leur lutte contre la culture des OGM, lutte parfois violente qui n'incite sans doute pas le consommateur à les rejoindre. Enfin, le système juridique lui-même donne l'image d'un droit de la consommation jeune (il apparaît dans les années soixante-dix), encore largement dominé par le droit privé et le principe de la liberté contractuelle, tempérée par quelques règles d'ordre public justifiées des motifs de santé publique. Aucune règle n'envisage réellement la consommation, et plus précisément la consommation alimentaire sous l'angle des droits de la personne. 


Floris Claesz van Dijck. Nature morte aux fromages. 1615

La lutte contre la faim

Certes, le droit international consacre le droit à l'alimentation, mais il s'agit alors de satisfaire les besoins les plus élémentaires, en un mot de lutter contre la faim. L'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme énonce ainsi que "toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation (...)". Le Pacte des Nations Unies sur les droits économiques et sociaux de 1966 affirme ensuite, dans son article 11, "le droit fondamental qu'a toute personne d'être à l'abri de la faim". Ces dispositions s'inscrivent dans le contexte du droit du développement, et visent surtout à susciter des programmes internationaux de lutte contre la faim. Elles n'imposent d'ailleurs aucune contrainte effective aux Etats. 

La qualité de l'alimentation

Le droit à une alimentation saine est d'une autre nature, puisqu'il ne s'agit plus de garantir le droit de ne pas mourir de faim, mais d'assurer une certaine qualité de l'alimentation, pour des motifs de santé publique. Sur ce point, le droit international est remarquablement muet, et on peut seulement relever quelques magnifiques déclarations de principe. Depuis 1996, les déclarations finales des sommets de la FAO (Food and Agriculture Organization) proclament ainsi le "droit des peuples à une alimentation saine et nourrissante", formulation sympathique mais qui n'impose aucune contrainte aux Etats. 

La consécration d'un droit à une alimentation saine ne peut donc provenir que du droit interne. Certes, on objectera que le principe de précaution, introduit dans la Constitution par le vecteur de la Charte de l'environnement pourrait être utilisé dans ce domaine, par exemple pour fonder des contrôles systématiques des produits, à tous les stades de la chaîne alimentaire. Le problème est que ce principe de précaution a un contenu trop imprécis, et que les juges hésitent à s'y référer. Dans un arrêt du 24 septembre 2012, le Conseil d'Etat a ainsi considéré comme illégale la décision d'un maire qui se fondait sur le principe de précaution pour interdire la culture des OGM sur le territoire de sa commune. Quant au Conseil constitutionnel, il affirme certes la valeur constitutionnelle du principe de précaution dans une décision du 19 juin 2008, mais, depuis cette date, il n'en a tiré aucune conséquence pratique.

La construction d'un ensemble normatif

Considéré sous cet angle, le droit à une alimentation saine permettrait de donner un contenu au principe de précaution dans ce domaine particulier. Mais il imposerait aussi la construction d'un dispositif normatif, orienté dans trois directions. D'une part, le droit à une alimentation saine suppose la création d'obligations primaires imposées à l'ensemble de la chaîne alimentaire, particulièrement en matière de qualité des produits et de traçabilité. D'autre part, il ne peut se satisfaire d'un système de contrôle reposant sur le bon vouloir des acteurs économiques, codes de bonne conduite et autres dispositions déontologiques. Dès lors qu'un droit du consommateur est consacré, il est indispensable de mettre en place des contrôles administratifs confiés à des autorités ou à des agences indépendantes. Enfin, le droit à une alimentation saine suppose un système élaboré de recours, tant devant l'administration que devant le juge, impliquant évidemment les associations représentatives dans ce secteur.

On le voit, le droit à une alimentation saine n'a pas seulement une fonction rhétorique, mais il doit constituer le socle de la construction d'un ensemble normatifs cohérent. A cet égard, sa consécration pourrait être perçue comme la prise de conscience des insuffisances actuelles de notre système juridique et le témoignage d'une volonté politique d'y remédier.


1 commentaire:

  1. Certains considèrent qu’une partie du changement passe par la consommation au sens large, ce qui passe par un changement de ce que l’on met dans l’assiette. J’y crois plus ou moins, et je pense surtout que si on considère qu’il y a un intérêt, autant le faire, passer à l’action. Mais concrètement, pour que tous ceux qui décident de changer leur consommation aient un impact sur le global, sur les décisions politiques, fassent vaciller les chercheurs de profit au détriment du capital humain et nature, j’y crois moins que plus…
    Même s’il y a un bienfait pour la santé de manger ne serait-ce qu’un peu moins de viande et autre produit issu de l’exploitation animale, largement relayé, les habitudes ont la dent longue, ainsi que certaines idées reçues. Allez dire à un normand de manger moins de fromage ou à quelqu’un à qui on a appris qu’on ne peut se passer de protéines animales que c’est faux. C’est possible de faire réfléchir, d’informer, surtout avec toute la documentation disponible sur internet, offrant la possibilité d’envoyer un message avec un lien à consulter, mais on peut finir par fatiguer, tout le monde n’a pas l’âme d’un militant à tous crins, et puis surtout, j’ai fini par me dire que sur un aspect aussi important de la vie quotidienne, cher à un certain nombre de cultures, cela doit être une démarche personnelle, plus motivée par une recherche de bien être (beaucoup de saveurs végétales à découvrir, pour une démarche santé personnelle) que par une culpabilisation, donc j’ai fini par éviter, autant que faire se peut, de prêcher pour la paroisse du végétarisme.
    Néanmoins, histoire d’en parler une bonne fois pour toutes, j’ai quand même eu envie de claviarder un petit article dessus. Alors, si vous voulez bien me suivre en cuisine, c’est parti…
    Ah, avant de vous parler des ingrédients...

    http://www.lejournaldepersonne.com/2013/02/le-changement-par-lassiette-p-lamachere/

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