« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 4 février 2013

Droit à l'image et photos "de charme"

Lorsqu'une jeune femme accepte de poser nue pour celui qui partage sa vie, elle n'est pas toujours consciente que son couple peut disparaître, mais que la photo demeure. Le cliché peut même constituer une arme redoutable pour un ancien compagnon animé par le désir de vengeance ou l'appât du gain, et dépourvu de toute élégance. Hélas, cette situation peut arriver, et internet offre précisément un support idéal pour celui qui veut diffuser la photo de son ex-compagne particulièrement dévêtue. 

Dans l'ordonnance de référé rendue par le tribunal de grande instance de Paris le 10 janvier 2013, on ignore la motivation de l'ex-compagnon. On sait seulement que la requérante, Virginie G. a partagé la vie de Juan F., photographe professionnel, de 2002 à 2004, alors qu'elle faisait un séjour d'études à Madrid. Durant cette période, l'artiste a pris de nombreux clichés de sa compagne, dont certains "particulièrement intimes", en lui promettant de n'en pas faire usage. Plusieurs années après la rupture, Virginie G. retrouve ses photos sur vingt-quatre sites internet, photos reproduites en utilisant une technique de "rendu photoréaliste". Autrement dit, Juan G. invoque le caractère artistique de ces clichés pour considérer qu'ils lui appartiennent et qu'il peut librement en faire usage. Virginie G., de son côté, invoque son droit à l'image et demande au juge civil de réparer le préjudice subi.

Le droit à l'image prévaut sur la création artistique

Le juge de référé consacre un droit exclusif de la personne sur son image, qui prévaut sur le droit de l'artiste sur son oeuvre. Depuis une décision de la Cour de cassation du 12 décembre 2000, il est acquis que "l'atteinte au respect dû à la vie privée et l'atteinte au droit de chacun sur son image constituent des sources de préjudice distinctes, ouvrant droit à des réparations distinctes". En clair, un même comportement peut susciter une double réparation, sur la base du droit à l'image et sur celle du droit au respect de la vie privée. En l'espèce, le juge s'appuie d'ailleurs également sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantir ce droit au respect de la vie privée.

Dans l'affaire Virginie G., le juge prend en considération un certain nombre d'éléments pour déduire l'existence d'une atteinte au droit à l'image. Il envisage ainsi successivement la captation de l'image, puis sa diffusion.

La captation de l'image

Le juge commence par apprécier le contenu des photos litigieuses. Le juge fait observer qu'elles sont le plus souvent dénudées, que Virginie G. est même parfois présentée "embrassant un homme" ou "dans des ébats amoureux". Son visage est généralement parfaitement visible ce qui rend le modèle identifiable, d'autant que l'une des photos est accompagnée d'un titre qui mentionne son prénom et la désigne ainsi sans équivoque. Par cette appréciation du contenu des photos, le juge entre dans la subjectivité de l'intéressée. Photographiée nue par son compagnon, sur des clichés qui permettent de l'identifier, elle est en droit d'espérer que son image soit considérée comme un élément de sa personnalité, et protégée comme telle. A ce stade, le juge sanctionne la seule captation de l'image, qui suffit à engager la responsabilité de son auteur.

Blow Up. Michelangelo Antonioni. 1966
David Hemmings. Vanessa Redgrave

La diffusion de l'image

Le défendeur estime que Virginie G. a accepté la diffusion de son image. Il déduit ce consentement du fait qu'elle l'a accompagné en 2004 à la remise d'un prix, une de ces photos ayant été récompensée lors d'un concours de photographies. Le juge écarte le cliché de son raisonnement juridique, d'autant que c'est la seule qui représente la requérante habillée, "assise, vêtue d'une robe noire". Il ne cherche pas à savoir si cette présence à la remise du prix vaut ou non consentement. Il se borne à mentionner que toutes les autres photos ont été diffusées sur internet à l'insu de la principale intéressée. Aucun consentement n'a donc été obtenu, ni même sollicité.

Le seul cas dans lequel il est possible de se passer du consentement formel de l'intéressé est celui d'une personne célèbre, dès lors que son image est captée à l'occasion de ses activités publiques. Virginie V. n'est pas une personne célèbre, et ses photos dénudées n'ont évidemment rien à voir avec ses activités professionnelles. Dès lors, M. Juan F. a effectivement commis une violation du droit à l'image de Virginie G.

Il est vrai qu'il n'est pas tout à fait impossible d'invoquer la liberté d'expression pour justifier une atteinte au droit à l'image. La Cour européenne, en particulier, admet assez largement que l'image des personnes célèbres, même captée dans des circonstances privées, soit diffusée dans la presse, lorsque l'objet de cette diffusion est de participer à "un débat d'ordre général". Dans un arrêt, d'ailleurs très discutable, Van Hannover c. Allemagne du 7 février 2012, la Cour considère ainsi que la diffusion de photos du prince Rainier de Monaco, prises à son insu dans un cadre privé, n'emporte pas violation de l'article 8 de la Convention, puisque le journal se borne à verser une pièce à un débat public portant sur la santé du prince.

En l'espèce, les photos de M. Juan F. ne participent à aucun débat public, et la liberté d'expression, même artistique ne saurait donc prévaloir sur le droit dont dispose Virginie G. sur son image. Le juge condamne donc le défendeur à verser 5000 € de dommages et intérêts à la victime, sachant qu'il avait déjà retiré les photos litigieuses des sites internet.

Les sites de vengeance

La solution, parfaitement équitable, ne doit pas cacher le nombre de situations comparables qui ne donnent pas lieu à contentieux, tout simplement parce que les victimes n'osent pas saisir le juge. On voit ainsi se développer aux Etats-Unis, et il en existe déjà dans notre pays, des sites de "vengeance" sur lesquels des hommes peuvent diffuser des photos "de charme" de leur ancienne compagne. Lorsque celle-ci proteste, elle est invitée à payer le site pour que les photos soient retirées, technique qui s'apparente au chantage pur et simple. Pour la première fois, vingt-cinq jeunes femmes ont déposé une plainte contre un site de ce type situé au Texas, et son hébergeur. La décision de justice sera certainement intéressante, car le juge texan, s'il veut garantir le droit à l'image de ces victimes, devra écarter la liberté d'expression, garantie par le Premier Amendement de la Constitution fédérale.

En tout état de cause, cette utilisation pour le moins perverse d'internet doit inciter chacun, et surtout chacune, à prendre quelques précautions. Les photos prises par un compagnon apportent souvent un plaisir narcissique, comme celles diffusées sur les réseaux sociaux. Mais demain ? N'est-il pas possible que quelqu'un utilise ces clichés à notre insu, pour nous nuire ? Une bonne question à se poser avant de sourire à l'objectif.

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