« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 30 janvier 2013

Les Roms et le droit à l'instruction

Les discriminations à l'égard des Roms sont si fréquentes en Europe que la Cour européenne en est très régulièrement saisie. Dans une décision Horvath et Kiss c. Hongrie du 29 janvier 2013, elle se prononce sur la situation de deux jeunes hommes d'origine rom, nés respectivement en 1994 et 1992, qui ont été placés dans des écoles spéciales pour handicapés mentaux appelées en Hongrie "écoles primaires et professionnelles de rattrapage". A chaque fois, la décision d'un tel placement a été prise après avis d'un collège d'experts employés par l'administration, sur la base de tests de QI. 

Dans le cas de M. Horvath, ses parents ont été invités à signer l'expertise avant que le test ait eu lieu, dans celui de M. Kiss, sa famille s'est vainement opposée à son placement dans l'établissement spécialisé. Quoi qu'il en soit, à l'occasion d'un séjour dans un camp de vacances en 2005, ces deux jeunes élèves ont été soumis à de nouveaux tests, réalisés cette fois par des experts indépendants, qui ont conclu qu'aucun des deux n'était handicapé mental et qu'ils pouvaient donc poursuivre une scolarité normale. 

Les requérants ont donc saisi les tribunaux hongrois pour obtenir réparation du préjudice subi par ce placement dans des établissements qui ne leur permettaient pas de progresser au même rythme que les écoliers hongrois. Ils invoquaient à la fois une violation du principe d'égalité devant la loi sur l'enseignement public et une violation du principe de non-discrimination lié au diagnostic erroné des experts.

Robert Doisneau. Les Ecoliers de la rue Damesme. 1956.jpg

Observons d'emblée que la situation hongroise dépasse les cas particuliers des deux requérants. La Cour avait déjà été saisie d'un cas semblable, mais elle avait dû déclarer le recours irrecevable, les victimes n'ayant pas épuisé les voies de recours internes (CEDH 29 novembre 2010 Tibor Horvath et Geza Vadaszi). Observons aussi, hélas, que le traitement discriminatoire des Roms a déjà suscité des condamnations de la Slovéquie pour la stérilisation forcée des femmes (CEDH V.C. c. Slovaquie, 8 novembre 2011), ou de la Roumanie pour sa mauvaise volonté dans l'indemnisation de victimes de violences racistes (CEDH, 12 juin 2012, Koky et a. c. Roumanie). 

La discrimination dans le système scolaire n'est pas davantage inconnue de la Cour. Dans deux décisions Sampani et a. c. Grèce rendus en 2008 et 2012, elle sanctionne le système éducatif grec qui autorise des "classes-ghettos" uniquement réservées aux enfants roms. Pour la Cour, une telle pratique constitue une violation du droit à l'instruction (art. 2 du Protocole n°1) combinée avec une autre violation, celle du principe de non-discrimination. Son jugement est d'autant plus sévère qu'elle rappelle, dans la décision, la légèreté des "expertises" effectuées, qui visaient davantage à écarter des enfants du système scolaire qu'à favoriser leur adaptation. 

Ce fondement est exactement repris par la Cour dans sa décision Horvath c. Kiss. La Cour fait donc prévaloir l'égalité devant la loi et devant le service public de l'enseignement sur l'approche communautaire de l'enseignement. Ce refus total d'un service public à deux vitesses marque, une nouvelle fois, un rejet total d'une approche centrée sur la reconnaissance d'un hypothétique "droit à la différence" qui ne fait que créer des ghettos et renforcer les inégalités existantes. 



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