« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 8 juillet 2012

Circulaire Valls : la rétention des enfants n'a pas disparu

La circulaire du 6 juillet 2012, signée du ministre de l'intérieur, définit la doctrine de l'administration française en matière de rétention des enfants de familles étrangères touchées par une mesure d'éloignement. Alternance ou pas, ce texte était indispensable pour clarifier une situation juridique passablement embrouillée depuis que l'arrêt Popov  rendue par la Cour européenne des droits de l'homme le 19 janvier 2012 avait condamné la pratique française dans ce domaine. 

Interprétation de l'arrêt Popov

Il est vrai que cette décision avait alors été interprétée de manière un peu excessive. Les journaux avaient affirmé que la Cour condamnait l'internement des enfants dans les Centres de rétention administrative (CRA), une telle mesure étant, en soi, constitutive d'un traitement inhumain et dégradant, au sens de l'article 3 de la Convention. 

La lecture attentive de l'arrêt montrait pourtant que la Cour ne condamnait la rétention que lorsqu'elle n'était pas proportionnée au but poursuivi, tel qu'il a été défini, pour l'Union européenne, par la directive du 16 décembre 2008, c'est à dire l'éloignement des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier. Cette proportionnalité se déduisait à partir de deux éléments cumulatifs. D'une part, l'administration doit démontrer qu'elle n'avait pas d'autres moyens efficaces pour retenir la famille concernée, par exemple l'assignation à résidence. D'autre part, l'intérêt supérieur de l'enfant, notion qui doit guider toutes les décisions prises à son égard, exige qu'il soit hébergé dans des conditions décentes, et dans des locaux spécialement aménagés pour le recevoir. Sur ce point, la vétusté des Centres de rétention administrative était spécialement visée par la Cour. 

Greuze (attribué à). Portrait de Louis XVII au Temple


La rétention des mineurs reste possible

 La circulaire Valls ne fait rien d'autre que reprendre cette jurisprudence. De nouveau, les journalistes, et notamment ceux du Monde, se hâtent de titrer que "la rétention des enfants est supprimée". Il n'en est rien, même si on peut espérer que les enfants placés dans cette triste seront dans l'avenir moins nombreux. 

Conformément à la jurisprudence Popov, la circulaire invite les préfets à privilégier l'assignation à résidence, moins traumatisante et donc plus conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, notion qui doit guider l'ensemble des décisions administratives et judiciaires concernant les mineurs. Reste que la rétention demeure possible "en cas de non respect des conditions de l'assignation à résidence, en cas de fuite d'un ou de plusieurs membres de la famille ou en cas de refus d'embarquement", c'est à dire concrètement lorsque la famille s'est volontairement soustraite à l'obligation de quitter le territoire français.

Sur le plan des conditions matérielles de l'accueil des enfants, la circulaire Valls s'efforce de prévenir toute nouvelle condamnation des autorités françaises. Elle affirme ainsi que "des dispositions ont été prises pour que les équipements spécifiques à l'accueil des mineurs soient régulièrement entretenus ou renouvelés" dans les Centres.

Finalement, la circulaire se borne à prendre acte de la jurisprudence de la Cour, sans exclure totalement la rétention des enfants. Affirmer le contraire relève d'une certaine forme d'idéalisme juridique qui conduit à la dépression, pour reprendre l'heureuse formule de Serge Sur. Est-il matériellement possible, en effet, d'interdire totalement toute rétention des familles, sans porter atteinte aux objectifs d'éloignement posés par la directive communautaire ? Il serait pour la moins fâcheux d'affirmer haut et fort un principe d'interdiction, et de s'apercevoir ensuite qu'il est impossible à mettre en oeuvre.




1 commentaire:

  1. Chère professeure,

    Je ne suis pas entièrement d'accord avec votre analyse. Il est vrai que ni la jurisprudence de la CEDH ni la directive 2008/115/CE (article 17) prohibent le principe même de la rétention des mineurs accompagnés mais posent juste l'obligation de la rendre exceptionnelle et adaptées à l'accueil des enfants, selon leur âge, leur état de santé et la durée de rétention.
    Toutefois il résulte tout aussi clairement de l'arrêt Popov que dans l'immédiat et tant que le CESEDA n'aura pas été modifié il n'existe AUCUNE BASE LEGALE à la rétention des mineurs, mêmes comme accompagnants de leurs parents et du coup tout présence d'un enfant en rétention viole systématiquement et nécessairement les articles 5§1 et 5§4 de la CEDH.
    Cela a été clairement établi dans l'arrêt Popov (§§118-125) qui parle même de "vide juridique" puisque dans la mesure où l'enfant ne fait formellement l'objet d'aucune décision de placement en rétention il n'a à sa disposition aucun recours pour contester ce placement.

    Je maintiens, comme je l'ai écrit dans un récent article de l'AJ Pénal que la rétention des enfants est, en l'état actuel des textes, légalement impossible en France (« Voici venu le temps d'en finir avec la rétention arbitraire des enfants (à propos de l'arrêt Popov) », AJ Pénal 2012 p. 281).

    voir aussi l'analyse éclairante de
    Nicolas Hervieu, « Confirmations, novations et incertitudes conventionnelles sur la détention de familles d’étrangers accompagnées d’enfants » in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 22 janvier 2012.
    http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr/2012/01/22/enfants-en-retention-la-cour-de-strasbourg-fustige-fermement-la-pratique-francaise-sans-en-condamner-le-principe-cour-edh-5e-sect-19-janvier-2012-popov-c-france/


    Du reste sur un plan plus politique cette fois-ci François Hollande s'est clairement engagé durant la campagne présidentielle à mettre fin à toute rétention des enfants dès son élection. Force est de constater que tel n'a pas été le cas - une trentaine d'enfants ont été retenus en toute illégalité depuis le 6 mai 2012 (http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr/files/2012/03/Fran%C3%A7ois-Hollande-Enfermement-des-mineurs-1.pdf)
    Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a renouvelé dans son discours de politique générale cette promesse selon laquelle "Aucun enfant, aucune famille ne sera placé dans un centre de rétention."
    Force est de constater que la circulaire Valls n'organise pas la fin de la rétention des familles avec enfants mais organise uniquement son caractère subsidiaire par rapport à la rétention administrative et il résulte de ses déclarations que la rétention des enfants à Mayotte (5300 l'année dernière) va perdurer alors que tous les rétentions à Mayotte sont attentatoires à la dignité de la personne humaine.


    Serge Slama

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