« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 9 juin 2012

L'état civil d'un enfant adopté à l'étranger par un couple homosexuel

La Cour de cassation a rendu, le 7 juin 2012, un avis interdisant la transcription en France du jugement d'adoption plénière d'un enfant adopté en Grande Bretagne, par un couple homosexuel. L'un a la nationalité britannique, l'autre française. Tous deux résident au Royaume-Uni. Tous deux demandent l'exequatur du jugement britannique, afin de permettre la transcription de la filiation de l'enfant dans les registres de l'état-civil français.

La Cour d'appel avait refusé cette transcription, en se fondant sur la violation de l'article 346 du code civil, qui précise que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes, si ce n'est par deux époux, principe qui, selon les juges du fond, relève de l'ordre public international. La Cour de cassation écarte ce moyen, en affirmant que l'article 346 ne consacre pas un "principe essentiel reconnu par le droit français". La formule n'est pas neutre, car la Cour doit ménager la possibilité de transcrire un jugement d'adoption prononcé à l'étranger au profit d'un couple non marié. 

Un "principe essentiel du droit de la filiation"

Ce moyen écarté, la Cour de cassation  est contrainte de se placer sur le terrain de l'homosexualité des requérants : "Est contraire à un principe essentiel du droit français de la filiation, la reconnaissance en France d'une décision étrangère dont la transcription sur les registres de l'état civil français, valant acte de naissance, emporte inscription d'un enfant comme né de deux parents du même sexe". C'est donc finalement l'article 310 du code civil qui se voit reconnaître comme "principe essentiel", et on sait qu'il précise qu'un enfant dont la filiation est légalement établie a les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports "avec leur père et mère". Le droit de la filiation impose donc d'avoir un père et une mère, pas deux pères ou deux mères.

Dans l'état actuel du droit, la décision ne surprend pas. Tout refus d'exequatur repose sur la contrariété du jugement étranger à l'ordre public international français. Tel est le cas en l'espèce, puisque le droit français refuse le mariage, l'adoption, et le recours à l'assistance médicale à la procréation aux couples homosexuels.

Un élargissement de la jurisprudence sur les mères porteuses

La Cour de cassation, dans cette décision, étend la célèbre jurisprudence Mennesson du 17 décembre 2008. Il s'agissait alors d'un couple marié, hétérosexuel, qui demandait la transcription du jugement d'un tribunal californien, qui avait reconnu la filiation de leurs jumelles nées à San Diego d'une convention de procréation pour autrui. Le juge américain avait alors affirmé que le mari du couple commanditaire était le père génétique et son épouse la mère légale. Pour la Cour de cassation, ce jugement américain violait "la conception française de l'ordre public international", dès lors que le recours aux mères porteuses est interdit dans notre pays.

Il est vrai que les enfants disposent, dans les deux hypothèses, d'un état-civil parfaitement régulier, américain pour les jumelles Mennesson, britannique pour l'enfant adopté par le couple britannique. Mais ils sont privés de leur état civil français, alors même qu'un de leurs parents a la nationalité français, voire les deux dans le cas des jumelles de San Diego. 

Comme les autres. VIncent Garenq. 2008. Lambert Wilson et Pascal Elbé.


L'intérêt supérieur de l'enfant

Cette jurisprudence peut sembler particulièrement sévère à l'égard du couple homosexuel qui  réside en Grande Bretagne, et s'est comporté de manière tout à fait conforme à la loi britannique, en offrant un foyer à un enfant. Si on se place au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, notion qui, selon la Convention de New York sur les droits de l'enfant, doit guider toute législation le concernant, on doit donc s'interroger sur cette rigueur. 

Un couple homosexuel qui adopte un enfant en Grande Bretagne ne peut obtenir la transcription de son état civil en France. Une femme française, également résidant en Grande Bretagne, qui décide d'avoir un enfant seule, grâce à une rencontre de passage, voire par l'assistance médicale à la procréation, n'aura aucune difficulté pour faire transcrire son état civil sur les registres français. Est-il préférable qu'un enfant soit élevé par une femme seule ou par un couple homosexuel ? Est-il préférable qu'un enfant soit élevé par les services sociaux plutôt que par un couple homosexuel ?

Le renvoi au législateur

La Cour européenne, dans un arrêt Gas et Dubois du 16 mars 2012, a refusé de poser la question en ces termes, laissant aux Etats une large autonomie pour apprécier ces questions éthiques. Elle considère ainsi que le refus d'adoption simple opposé à la compagne de la mère homosexuelle d'un enfant né par assistance médicale à la procréation n'est pas, en soi, discriminatoire. 

De toute évidence, la Cour de cassation refuse de faire entrer le droit à l'adoption des homosexuels dans le droit positif, de manière subreptice, par le contentieux de l'état civil. Sa sévérité doit être interprétée comme un appel au législateur. D'une certaine manière, cette décision présente l'intérêt de placer le débat sur l'intérieur supérieur de l'enfant, et non pas seulement sur une démarche militante de revendication des droits des homosexuels. Un élément important dans le débat, au moment précis où l'alternance politique laisse augurer une évolution dans ce domaine.

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