« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 8 octobre 2011

QPC : hospitalisation psychiatrique et "notoriété publique"


Le Conseil constitutionnel a rendu le 6 octobre 2011 une nouvelle décision sur QPC portant sur l'hospitalisation des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques, et plus précisément de celles qui sont internées sans leur consentement. Tel fut le cas de Mme Oriette P. Elle conteste devant le juge judiciaire une décision d'hospitalisation d'office qui la concernait. Sa requête était antérieure à la loi du 5 juillet 2011 qui a réorganisé le régime juridique de ces hospitalisations.

On sait que la rédaction de cette loi de 2011 a été influencée par le Conseil constitutionnel. Dans deux décisions du 26 novembre 2010 et du 9 juin 2011, il avait affirmé que toute hospitalisation effectuée sans le consentement du patient, soit à la demande d'un tiers, soit à celle de l'autorité administrative ayant pour mission de protéger le patient et/ou l'ordre public, devait donner lieu à l'intervention du juge judiciaire dans un délai aussi rapide que possible. De fait, le Sénat avait adopté, dans l'urgence, en seconde lecture, des amendements visant à donner satisfaction au juge constitutionnel grâce à l'intervention du Juge des libertés et de la détention. Celui-ci peut désormais être saisi dans les 24 h après l'internement, en particulier lorsque les certificats médicaux établis obligatoirement par deux médecins psychiatres produisent des conclusions divergentes, ou lorsque ces médecins s'opposent à l'autorité administrative, le plus souvent le préfet.

L'"hospitalisation d'office" devenue hospitalisation "sans le consentement" de la personne donne désormais lieu à un double contrôle du corps médical et du juge judiciaire. La présente QPC porte cependant sur l'état du droit antérieur.

Une QPC portant sur des dispositions abrogées

Cette nouvelle QPC n'a qu'un intérêt direct assez limité, puisque les dispositions contestées, c'est à dire les articles L 3213-2 et 3 du Code de la santé publique ont été abrogés par la loi du 5 juillet 2011. Le Conseil constitutionnel est néanmoins compétent, car il s'agit d'un contentieux objectif, ce qui signifie que le Conseil apprécie une disposition législative, indépendamment de toute appréciation des faits qui sont à l'origine du litige. Sa seule mission consiste à dire si la disposition législative qui a été appliquée à Mme Oriette P. est, ou non, conforme à la Constitution. 

En l'espèce, la requérante conteste une décision d'internement prise sur le fondement de la loi  Evin du 17 juin 1990, qui était le droit applicable jusqu'au 1er août 2011, date d'entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2011. La QPC a été transmise au Conseil par la Cour de cassation dans une décision du 6 juillet 2011, soit trois semaines avant cette entrée en vigueur. Cette QPC peut donc avoir un impact direct sur les contentieux en cours, ceux qui précisément ont été engagés avant l'entrée en vigueur du texte nouveau. 

La "notoriété publique" ne peut pas fonder une hospitalisation sans le consentement

La QPC porte sur les article L 3213- 2 et 3 du Code de la santé publique, c'est à dire sur le régime d'hospitalisation d'office des personnes atteintes de troubles mentaux. 

La question de l'article L 3213-3 est rapidement écartée. La requérante soutient en effet qu'il permet de prolonger l'hospitalisation durant plus de quinze jours sans intervention du juge, alors que son seul objet est de prévoir un examen régulier du patient par un psychiatre de l'établissement, qui doit ensuite transmettre un certificat médical circonstancié au préfet. En soi, cette procédure n'est pas contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, affirme le Conseil. 

Reste l'article L 3213-2 du Code de la santé publique. Dans sa rédaction issue de la loi Evin, il permettait à l'autorité administrative de décider une hospitalisation d'office en urgence, sur le fondement d'un simple avis médical, ou de la "notoriété publique". 

Van Gogh. Couloir dans l'asile. 1889


On sait que l'urgence, de la manière la plus traditionnelle en droit administratif, justifie un allègement des procédures. De fait, le Conseil constitutionnel ne considère pas comme attentatoire aux libertés qu'une personne puisse être hospitalisée dans un service psychiatrique sur la base d'un avis médical. Dans ses deux décisions de novembre 2010 et de juin 2011, il avait d'ailleurs déjà admis une telle procédure, que la loi de 2011 n'a pas sensiblement modifiée, sous la réserve toutefois que ces mesures provisoires ne soient prises qu'à l'égard des personnes "dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes". Il est vrai que nous sommes finalement dans l'hypothèse de l'exercice du pouvoir de police générale, qui doit pouvoir s'exercer sans contrainte excessive en cas de danger imminent. 

Contrôle de proportionnalité

En revanche, le Conseil se montre plus sévère à l'égard d'une privation de liberté fondé sur la notion de "notoriété publique". Dès les débats parlementaires précédant le vote de la loi Evin, cette disposition avait suscité beaucoup d'opposition, au motif que le maire ou le préfet pouvait établir la "notoriété publique" par n'importe quel moyen, et notamment par des témoignages dont il n'est pas obligatoire de révéler les auteurs. La porte était donc ouverte à des internements fondés sur des rumeurs malveillantes et la volonté de nuire. 

Il est vrai que le gouvernement français avait fait savoir, lors d'une enquête diligentée par le Conseil de l'Europe en 2000, que cette disposition était tombée en désuétude. Ce n'était pourtant pas l'avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui avait examiné en 2008 le cas du Centre hospitalier d'Auxerre. A l'époque, dans ce seul établissement, 14, 2 % des hospitalisations d'office étaient décidées sur le fondement de la "notoriété publique" (soit 12 personnes).

Le Conseil estime donc, fort logiquement, que cette disposition n'est pas assortie de garanties suffisantes pour la personne internée. Le contrôle du juge a lieu en effet a posteriori, une fois que cette décision d'urgence a produit ses effets. Surtout, la notion même de "notoriété publique" ne permet pas de s'assurer que l'hospitalisation est effectivement "une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à l'état du malade ainsi qu'à la sureté des personnes et à la préservation de l'ordre public". De fait, le Conseil décide de l'abrogation de cette disposition, sa décision prenant effet immédiatement, et étant donc applicable à tous les contentieux non encore définitivement jugés. 

Cette décision témoigne évidemment de l'étendue du contrôle de proportionnalité exercé par le juge, contrôle qu'il avait d'ailleurs déjà exercé dans ses deux décisions des 26 novembre 2010 et 9 juin 2011. 


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