« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 26 octobre 2011

Les recours de la Scientologie

 L'Eglise de Scientologie a convoqué la presse le 24 octobre pour lui annoncer qu'elle engageait un "recours" contre une circulaire du ministre de la justice relative à "la vigilance et la lutte contre les dérives sectaires". Il s'agit en effet d'une "circulaire de politique pénale" datée du 19 septembre qui porte sur la mise en oeuvre de l'article 223-15-2 du code pénal

L'abus d'état de faiblesse adapté à la sujétion mentale

Ce texte, issu de la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit, étend la notion d'"état de faiblesse" non seulement aux mineurs ou aux personnes vulnérables en raison de leur âge ou de leur état de santé, mais aussi à toute personne "en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement". L'infraction est d'ailleurs aggravée, lorsqu'elle est commise par le dirigeant d'un groupement dont l'objet même est "de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités". Autant dire que l'abus frauduleux de l'état de faiblesse est désormais adapté à la sujétion mentale, et vise donc directement les dérives sectaires.  

L'Eglise de Scientologie s'estime directement visée par ce texte, et redoute peut-être les peines encourues qui sont effectivement très lourdes : trois ans d'emprisonnement et /ou 375 000 € d'amende, qui peuvent aller jusqu'à cinq ans et 750 000 € lorsque les faits sont aggravés. 

Les indices de la sujétion mentale

La circulaire engage les parquets, dès qu'il y a suspicion de dérive sectaire, à vérifier si les victimes se trouvent en état de sujétion psychologique. Dans ce but, elle leur suggère l'examen de certains éléments du mode de vie des éventuelles victimes et énumère certains indices de sujétion : "séparation des membres de la famille, rupture avec l'environnement professionnel, refus de traitements médicaux conventionnels, exigence de remise de fonds, absence d'accès aux médias ou aux moyens de communication".. De même, sont énumérés comme instruments de sujétion certaines pratiques physiques ou comportementales telles que "les tests, les cures de purification, les régimes vitaminés, les jeûnes prolongés, les cours d'initiation répétés" ou encore "l'introduction d'un vocabulaire et d'un état-civil spécifique au groupe".

La Scientologie reconnaît elle-même qu'il s'agit de "pratiques religieuses" qu'elle recommande à ses adeptes. Quels sont pour autant les recours qu'elle déclare vouloir engager ? 



Le recours de la Scientologie

On observe d'emblée que es avocats de la secte, Me Michel de Guillenschmidt et Jean-Marc Florand,  n'utilisent pas le recours le plus évident, celui qui aurait consisté à contester directement la circulaire du ministre de la justice devant le Conseil d'Etat. Depuis la très célèbre jurisprudence Notre-Dame du Kreisker de 1954, il est acquis qu'un recours pour excès de pouvoir peut être dirigé contre une circulaire, dès lors qu'elle modifie le droit existant. Dans ce cas, elle est analysée comme un texte réglementaire, et donc annulée pour incompétence. Dès lors que la Scientologie se plaint que la circulaire ajoute des indices révélateurs de la sujétion qui ne figurent pas dans le texte de loi...pourquoi n'a t elle pas saisi le Conseil d'Etat ? 

Disons le franchement... l'illégalité de la circulaire est difficile à plaider. Rien n'interdit à un ministre de guider l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, en l'espèce celui d'engager des poursuites pour abus de sujétion psychologique. Et la jurisprudence estime depuis bien longtemps qu'une circulaire peut tout à fait donner à ses destinataires des éléments de nature à aider leur décision. C'est d'ailleurs la garantie d'une certaine égalité des justiciables, puisque l'infraction sera appréciée à partir de critères identiques sur l'ensemble du territoire. 

Une "plainte" auprès du rapporteur spécial des Nations Unies sur l'indépendance des juges

Faute de recours pour excès de pouvoir, l'Eglise de Scientologie a préféré déposer une "plainte" devant le rapporteur spécial des Nations Unies sur l'indépendance des juges... Et les journaux de reprendre à l'unisson le dépôt de cette "plainte" qui serait fondée sur "une atteinte aux droits des minorités religieuses". 

On doit évidemment féliciter les avocats de la secte d'avoir une telle idée qui leur permet d'engager une opération de communication sur la Scientologie sans courir le moindre risque juridique ou judiciaire. 

D'une part, on ne dépose pas "plainte" devant le rapporteur spécial, actuellement Madame Gabriela Carina Knaul de Albuquerque e Silva (Brésil). Cette autorité, créée en 1994 par la Commission des droits de l'homme n'est en effet dotée d'aucun pouvoir judiciaire. Elle "reçoit des informations qui sont portées à son attention" et peut, le cas échéant, faire des "recommandations". On peut en déduire que les pouvoirs du rapporteur spécial ne risquent pas de menacer les bases du système judiciaire français. 

D'autre part, le champ de compétence du rapporteur spécial se limite aux problèmes liés à l'indépendance du système judiciaire, qu'il s'agisse de celle des juges ou des magistrats. De toute évidence, on ne voit pas en quoi une circulaire adressée aux parquets mais qui leur laisse toute leur autonomie pour décider de l'opportunité des poursuites, porterait atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire et au principe du procès équitable.

Autant dire que la démarche de l'Eglise de Scientologie a assez peu de chances de prospérer.. 

Vers le procès en appel de la condamnation de 2009

On doit cependant s'interroger sur la proximité de cette démarche avec un autre procès, sérieux cette fois, qui va s'ouvrir le 3 novembre. La Scientologie fait appel en effet de la condamnation des structures françaises du mouvement, le "Celebrity Centre" et de sa librairie. La secte n'a pas été condamnée pour abus de faiblesse ou sujétion mentale, mais plus prosaïquement pour escroquerie en bande organisée. On se souvient peut-être de la "démonstration" à l'audience de l'"électromètre", appareil assez semblable au "biglotron" de Pierre Dac, et qui est censé permettre à l'adepte d'accéder à la sérénité en se libérant des éléments mentaux négatifs... 

A l'époque, le 15 juin 2009,  le parquet avait requis la dissolution des deux groupements.. mais elle s'était révélée inapplicable. En effet, un mystérieux amendement à une loi "fourre-tout" de simplification administrative avait été voté le 12 mai, interdisant la dissolution d'une secte pour escroquerie. Cet évènement témoignait des succès incontestables des activités de lobbying menées par la Scientologie, a empêché évidemment cette dissolution. 

Dès septembre 2009, un autre amendement, déposé au Sénat puis voté par l'Assemblée, a rétabli la possibilité de dissoudre une secte condamnée pour escroquerie.. Autant dire que le procès d'appel risque d'être intéressant... 

Il est alors très tentant de considérer que la secte s'efforce de distiller le soupçon sur le système judiciaire français... dont elle a beaucoup à redouter. 

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